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Un voyage vers l’inconnu

6h20 ! Des bruits lointains me sortent d'un profond sommeil ; je suis dans le vague complet, entre l'obscurité de la chambre et l'agitation que j'entends au loin. Ah, ce n'est pas ma chambre ! Cet air tiède : je suis au Cameroun ! C'est déjà le réveil pour une longue journée de route; j'ai dormi à peine 2 heures… et le village est si loin ! La flemme. Mais il faut se bouger. Je relève un peu la tête et distingue une silhouette d'homme assis sur le lit en face du mien : Moka essaie lui aussi d'émerger, bien conscient du voyage qui nous attend. C'est dur pour tout le monde apparemment !

Petite toilette rapide : on se rince les yeux, on se brosse les dents et on sort rejoindre les autres, qui remplissent déjà le coffre arrière de la voiture. On y fout donc nos bagages et on embarque tous dans la voiture : nous sommes 6 à bord, et Moka est assis à l'arrière (sur une fesse vraisemblablement) avec les 3 autres filles (Elsa et mes 2 grandes sœurs) ; mais son humeur ne s'en laisse pas démonter : « même si c'est accroché au pot d'échappement, on va arriver ! »

C'est comme une tradition dans la famille : jamais on n'a effectué un voyage pour le village sans écouter de bonnes musiques rythmées de chez nous (les Bétis) et du pays de façon générale ! Pour ne choquer personne mon frère choisit donc de faire jouer l'incontournable… Francis Cabrel ! C'est ainsi qu'avant même de sortir de Douala, les unes (Bertille et Mélanie, mes sœurs ainées) s'excitaient déjà sur l'autre (Marcel) par rapport à ce choix musical, qui visiblement ne contentait pas tout le monde.

Ça commence bien ! Moka et moi restons silencieux ; Elsa aussi d'ailleurs…

Quelques minutes plus tard, l'ambiance était toute différente mais certainement pas moins bruyante : après tant d'agitation, c'était ces mêmes passagères qui accompagnaient Marcel (Moka et moi) à la chansonnette, sur les refrains de « Je l'aime à mourir », « C'était l'hiver » ou encore « L'encre de tes yeux »… Quant à Elsa, on ne pouvait bientôt plus rien voir de ses yeux, enfouis sous des paupières manifestement trop lourdes !

Notre DJ (Driver Junior) savoure la route sinueuse qui défile sous ses roues, en m'indiquant soigneusement dans quel ordre faire jouer les chansons pour ne pas perdre l'attention de ses passagers… Mais c'est peine perdue ! Elles dorment déjà toutes, et Moka de charrier : « Donc tout le boucan là c'était parce que le sommeil dérangeait leurs cerveaux ? » On en sourit mais pas longtemps… Marcel vient de constater une anomalie sur la voiture. La pédale d'accélérateur ne répond plus comme elle devrait ! Quelle histoire ! Et comment on fait pour rouler ? Mon frère est inspiré : il pompe la dite pédale de coup de pieds répétés dans l'espoir d'un déclic, peut-être… qui sait ? Et comme pour nous narguer, voici que Cabrel nous agace avec un « Et ca continue encore et encore ! C'est que le début, d'accord, d'accord ! » Le film est aussi comique que l'aventure devient dangereuse, mais on est là. On peut même aller où ? Alors on roule… quand ça veut bien rouler !

Avant d'arriver à Edéa, c'est-à-dire à un peu moins de 50 km de Douala, on décide d'appeler les parents pour exposer notre problème : on a déboité un poids lourd pour le doubler, et on a roulé sur plus de 100m côte à côte parce qu'on manquait de vitesse pour passer devant… ça nous fait sourire, mais ça inquiète aussi un peu !

Papa ne décroche pas ; j'essaie avec maman. Apparemment je les réveille ; il est environ 7h20 ! Elle passe le téléphone à « Monsieur » qui, après avoir proposé différentes solutions sans résultat, nous suggère de nous arrêter chez tonton Alain ; il est mécanicien et vit justement à Edéa. Mais mon frère estime qu'il faut continuer : la panne est d'origine électronique donc il ne nous aidera pas beaucoup ; ce qui n'est pas faux ! A nous (ou plutôt à lui) notre destin désormais, mais il faut arriver à Djoum aujourd'hui…

Je commence à fatiguer, mais je dois rester éveillé pour ne pas distraire l'attention de Marcel. A l'arrière, c'est toujours aussi calme ; les filles sont endormies. La situation est délicate. Alors je lutte. J'essaie de penser à ma grand-mère que je n'ai pas vue depuis 3 longues années. Est-elle en bonne santé ? Je pense au village, à quoi ressemble-t-il aujourd'hui ? Qui va-t-on y trouver pour le mariage ? Je me replonge dans certaines anecdotes intimes de mon passé, en relation avec le village ; dans mon esprit je revisite les aspects du village qui m'évoquent ma vie là-bas : l'Etage, les bains à la rivière, les tours d'eau aux puits avec le seau sur la tête, la fraicheur et l'obscurité de la nuit… Toutes ces images provoquent en moi différentes émotions et réussissent à garder mes yeux ouverts !

On dépasse Edéa, direction Yaoundé…

A Sombô, on s'arrête 10 minutes ; les passagers à l'arrière sortent pour s'étirer un peu. Sombô, c'est un petit village qui sert aussi de point de ravitaillement en vivres pour les nombreux voyageurs qui empruntent cette route. On fait quelques blagues sur les éventuels problèmes que nous pourrions encore rencontrer sur la route avec cette voiture. Les garçons font pipi dans un coin de fortune. Les filles nous matent et se tâtent… Euh… Bref ! On a fini, tout le monde remonte à bord ; Moka prend ma place devant pour être plus à l'aise, et je passe à l'arrière pour me reposer à mon tour : c'est reparti…

On finit par arriver à Yaoundé vers 11h40, alors qu'on nous y attendait plus tôt, autour de 10h… On fait une escale de 2 heures chez Elisa, la fiancée de Marcel.  Elle habite une jolie maison, construite sur 2 étages dans un quartier tranquille, près du stade Omnisport de la Capitale.

Nous sommes dans la salle à manger ; installés, prêt à nous restaurer. C'est alors qu'on entend des bruits de chants traditionnels provenant de l'arrière cour. Mes sœurs, Moka et moi nous dirigeons aussitôt à la fenêtre pour constater que mon frère est encerclé de 4 « mamans »: ce sont les tantes d'Elisa qui sont entrain de féliciter le futur marié et l'encourager de quelques conseils pratiques pour que leur mariage soit réussi. A travers des danses assez suggestives, elles simulent ce que pourraient être le rapport à la sexualité dans leur couple… Pris en sandwich, mon frère ne se laisse pas supplanter. Si souvent vu comme un gars réservé, et peu expressif, voici qu'il est tout sourire entrain de répondre à leurs pas de danse : ainsi, c'est à coups de rein sensuels et accordés au rythme des chants, les doigts pointant ostensiblement ses propres « parties », que Marcel rassure sa belle-famille sur ses aptitudes à satisfaire leur fille à toute heure, en toute saison. L'atmosphère s'emballe véritablement : Les cris se multiplient, et les accolades aussi ; elles sont ravies ! Désormais, elles savent qu'elles laissent Elisa entre de bonnes mains…

Après l'effort, le réconfort ! Une fois le spectacle fini, Marcel nous rejoint dans la salle à manger depuis laquelle nous nous amusions de cette scène, les rires accompagnant les applaudissements… Elisa est là, avec sa témoin Elsa ; on va passer à table pour le petit déjeuner… il est presque 13h !

A 14h, on est sur le départ. On appelle Brice, le témoin de mon frère pour savoir où il en est parce qu'on doit continuer la route avec lui. On le rejoint ensuite dans le centre-ville de Yaoundé, où il fait encore quelques courses pour son père. Il n'est pas seul dans sa voiture : 3 personnes (Albert, Jules, et Anne) ont accepté de venir à l'aventure dans notre village, pour le mariage…

A 15h, on est bon ! On prend la route pour Djoum ; nous devant, et la voiture de Brice derrière. Elsa est restée chez la future mariée, sa copine ; elles nous rejoindront au village demain, pour le mariage.

Cette fois on s'est habitué aux frasques de notre voiture. Parfois la pédale d'accélérateur nous surprend, mais de façon générale nous roulons relativement bien. Quand notre rythme est trop lent Brice passe devant, mais nous garde visibles dans ses rétroviseurs. C'est plus prudent. On se double et se dédouble ainsi jusqu'à Sangmélima.

Puis nous abordons la route en terre rouge qui mène à Djoum : la partie la plus difficile du voyage, pour les machines comme pour les passagers ! Sur près de 200 km, nous roulons sur une piste qui s'est dessinée d'elle-même, dans le temps, et au gré des  passages des rares automobiles qui la pratiquent. C'est une route  qui dessert de nombreux villages, les uns après les autres (à la file), séparés entre eux par d'interminables bosquets. L'ambiance et le décor sont toujours autant « de chez nous » : odeur d'insectes et de plantes sauvages ; poussière rouge soulevée par des roues trop occupées à éviter les rifts qui parsèment la chaussée. Les rencontres toujours très impressionnantes avec les grumiers, qui font la navette entre la scierie de Djoum et Sangmélima, pour livrer d'énormes billes de bois. Il faut dire que le bois, ce n'est pas ça qui manque par ici. Le mode de vie dans tous ces villages est presque toujours le même : les Hommes vivent dans des cases en terre battue construites le long de la route. Cette proximité vient du fait qu'à l'époque où ces villages ont vu le jour, les gens étaient particulièrement nomades ; les clans s'installaient ici ou là, dépendamment de leurs besoins vitaux et de la richesse des terres… Etre prêt de la chaussée est aussi pertinent pour les villageois, dans la mesure où elle offre la possibilité d'envisager un commerce avec les voyageurs. Une halte (à cause d'une panne, besoin de ravitaillement, route impraticable par temps de pluie surtout, ou même un accident…) est une aubaine pour le village, parce qu'ils peuvent vendre leurs gibiers, proposer la chaleur d'un logis contre quelques sous, ou faire passer des courriers par ces voyageurs vers la ville ou le village le plus proche. Les services de la poste ne sont pas fonctionnels dans la région, et ici les oiseaux sont trop indociles pour transporter les lettres, comme à une certaine époque en Occident. Et puis ce serait du gâchis, ça reste de la viande ! Ici on mange toute forme de vie animale qui ne ressemble pas trait pour trait à un homme : le lion, l'éléphant, l'antilope, le singe, le hérisson, le serpent, le porc, la chèvre, et tout ce qui a des ailes de façon générale. C'est ça qui est la vérité même !

-          Même le papillon ? demande naïvement Moka, avant de nous montrer ses dents.

-          Oui, dans le bouillon ! Haha ! N'empêche, on rigole mais, on bouffe bien des criquets et une espèce particulière de vers de terre… Les « Fôss », ils appellent ca ! Ils les font frire et le servent bien épicés… J'y ai  goutté, et je trouve ca plutôt bon ! Expliquai-je.

-          Mince, on est toujours au Cameroun ici ? Paul Biya sait même que ce coin du pays existe ? Se moquait déjà Moka.

-          Même s'il sait, il va faire quoi ? Regarde la misère à Douala…

-          Willy, attends d'abord d'être rentré à Panam ; de là tu m'envoies un mail pour critiquer Douala, parce que ton village ci… tu vois le chien qui court là-bas, il cherche la sortie ! Moka m'a littéralement coupé dans mon élan…

Un parterre de rire accompagne sa blague. Ca fait quelques heures que nous sommes arrivés à Endengue (mon village, à 3km de Djoum). Il est déjà 22h et nous sommes assis sous un arbre, autour duquel le chef du village a fait fabriquer une table ronde. On tue le temps à discuter de tout et de rien, les « étrangers » prennent la température de mon village et leurs réflexions révèlent combien cet environnement leur parait curieux. Moka, Gauthier (mon cousin), Brice, Jules, et moi partageons une bière avec 2 jeunes du village, Mvam et Ossang :

-          Non, mais je connais le chien là ; il « habite » en haut du village, reprend Mvam. Il court souvent comme ca dans la nuit. Son maître l'avait emmené un jour en brousse pour le manger, parce que la misère faisait fort ici. Il a réussi à s'échapper ! Maintenant dès que la nuit tombe et qu'il ne peut plus distinguer les gens, il court seulement. C'est un faux chien peureux, dis donc…

-          Donc ici les gens sont même « chienibalistes »… ?! lâcha Jules.

-          Ça, c'est la magic ! poursuivit Moka.

-          Les gars doucement, ok, c'est quand même mon bled ici… Essayai-je de temporiser.

-          Ouais, et Marcel c'est mon ami, faut un peu respecter les gens… me soutint Brice, avec un sourire qui trahissait son hypocrisie. Du haut de ses 25 ans, il poursuit : Bon je suis l'aîné ici donc…

-          Qui t'a dit ça ? L'interrompt Ossang !

On le regarde tous avec étonnement. Le gars fait 1m60 à peine. Un bon 30 cm de moins que Brice. Son visage est certes très dur, et marqué par le travail des champs, la chaleur locale et la malnutrition mais nous avons du mal à lui donner plus de 20 ans…

-          Gars, tu nous as dit que tu étais en classe de 4e tout à l'heure, qu'est ce tu racontes ? Demanda Gauthier.

-          Mais il a échoué trop de classes ! Tu le sous-estimes hein ? Nous fit remarquer Mvam entre deux gorgées de Castel.

-          Oui j'avoue qu'on l'a sous-estimé ! Mais à cet âge ci, pourquoi continuer l'école ? interrogea Moka.

-          Mec, il y a beaucoup de choses bizarres par ici… répondit Jules

-          Ca n'a rien de bizarre ! Se défendit Ossang. L'école me perdait le temps ; je ne finissais jamais une année entière parce que je n'avais pas toujours l'argent pour la pension, donc on me chassait… d'autres fois, c'est moi qui partais seul, parce que la chasse rapportait au marché. Et il y avait aussi les femmes… Les livres là nous mentaient d'abord trop ! Tout ce qu'il faut dans notre vie d'ici, c'est savoir chasser ou cultiver les terres pour manger, un peu lire et compter pour le commerce, et vendre pour acheter le minimum et s'habiller. Et vous vous trompez : Willy a mal traduit ; je n'ai pas dit que j'étais en 4e, mais c'est la classe où je me suis arrêté.

-          Mais tu as quand même redoublé toutes tes classes ! Insista Mvam.

-          Oui, presque ! Mais mon père et ma mère sont déjà morts, ca peut encore tuer qui ? Plaisanta Ossang, avant d'entonner un cantique religieux qui loue les grâces de Dieu. Comme pour nous signifier qu'il ne s'en remet qu'à son jugement.

Silence total. Manifestement je ne suis pas le seul que son attitude et ses propos  mettent mal à l'aise. Nous n'osons pas trop sourire avec lui. Alors nous nous regardons un peu tous, sur le cul ! Oui, nous sommes toujours assis…

-          Mais tu n'as pas d'ambition personnelle ? Tu n'as pas envie de te sortir de ce trou ? Tu n'as pas de rêves ? Osa Jules.

-          Je m'échappe de ce trou quand je rêve ; et je rêve seulement quand je dors ! Après je ne me souviens plus de rien et la vie continue. La même case, le même voisinage. La même route, les mêmes grumiers. Les mêmes souvenirs, les mêmes regrets. Les mêmes champs, les mêmes récoltes. La même chasse, le même gibier. Le même marché, les mêmes clients. La même corruption, les mêmes problèmes. Les mêmes femmes, les mêmes nuits, et le même chien qui court… Viens vivre ici, tu verras que les rêves nous détruisent plus qu'ils ne pourraient jamais nous construire ! Ici c'est la foi en Dieu qui sauve… sinon c'est la folie ! C'est ca qui nous aide à vivre dans le contentement de ce qui ne nous suffira jamais. Mais ici, c'est chez nous donc on va seulement supporter…

-          Et c'est aussi chez Willy hein ! s'exclama Mvam en me désignant de l'index, l'autre main toujours aussi près de sa bouteille.

-          Oui… Oui, je sais, ici c'est aussi chez moi ! Dis-je timidement. Mais, au village, il n'y a donc rien de bon à vos yeux ?

-          L'alcool ! Dit Ossang.

-          Les femmes… Corrigea Mvam.

-          Non l'alcool, c'est mieux ! Le prix de la bouteille ne varie pas en fonction de la poche du client. Rappela Ossang.

-          Ah oui, ca c'est vrai, l'alcool est mieux… j'ai failli oublier ! Se reprit-il, avant de lever le coude pour une énième gorgée.

-          Mais quand le village est pauvre comme ca, si vous arrêtez l'école, qui va le développer ? Demanda Brice.

-          Ce n'est pas notre rôle ca ! répondit Ossang. Demande plutôt à Willy…

-          Quoi ? Pourquoi moi ? Fis-je, un brin surpris

-          Ici c'est aussi chez toi non ?! Répondit Mvam.

-          Non mais les gars, soyons sérieux ! c'est sûr que dans l'absolu, si j'ai les moyens je ferai ce que je peux pour participer à un effort commun… ce n'est que comme ca qu'on peut changer les choses ! Mais vous ne pouvez pas rester là à croiser les bras et dire que d'autres vont venir faire. M'agaçai-je un peu…

-          Ici « chez nous », quand quelqu'un décroise les bras c'est pour obéir à la loi du système… on a quels moyens et quel pouvoir pour agir contre ceux qui dirigent ici ?

-          C'est justement pour ca qu'on vous dit d'aller à l'école… peut-être vous pourrez même finir maire de Djoum ! Qui sait ?

-          Dans les livres là, on lit des bêtises. En Education Civique, on va même nous parler de nos droits, et de nos devoirs de citoyens. Mais on n'existe pas dans ce pays ! Et de toute façon, tu parlais de mairie là, personne ici ne peut y arriver.  C'est comme ca, on le sait ; On le voit ! Quand les élections approchent souvent, le village vit ses plus beaux jours. Pour faire campagne, les candidats défilent ici pour nous  ravitailler en tout, chacun à la mesure de ses moyens : les sacs de riz pleuvent, les régimes de plantains, les maniocs… On aime quand l'homme riche sait être généreux ! On ne perd rien. Nous mangeons, nous buvons, nous dansons, puis nous chantons son nom… Tout le monde est dehors, c'est la fête ! Et le village se réjouit parce qu'il oublie un peu la vie de tous les jours. Les foyers sont en paix parce que les familles ont fait le plein de vivres pour quelques semaines. Sans efforts ! C'est tout ce qui compte pour nous.

-          Mais vous votez quelqu'un qui ne vous promet rien ? Si vous n'écoutez pas ce qu'ils disent, c'est un mauvais calcul…

-          Non c'est le meilleur calcul. Il ne faut pas trop nous en demander. Tous les jours ici, les gens se volent, se mentent, se trompent pour survivre… les enfants sont malades, ils ont faim et les parents se cherchent dehors pour limiter les dégâts. La faim et la santé sont les urgences dans le village ! Et seule un peu de paix peut nous donner du répit, donc c'est ce que les politiques là nous distribuent sous forme de pain et d'eau… on n'a pas vraiment le choix parce qu'on en a besoin! Développa Ossang.

-          Et puis tu veux qu'on écoute comment ? Vous-mêmes vous savez, « ventre affamé n'a point d'oreilles… ». Haha Ha ! Mvam en était à sa 4e bière…

-          Bon, il y en a beaucoup qui essaient de quitter le village pour aller en ville. Mais là aussi il faut trouver les moyens de partir, et être sûr que quelqu'un va t'accueillir. J'ai des amis qui ont réussi, et maintenant ils se débrouillent ; ils font les jobs, les petits commerces, les taxis, à Sangmélima, Ebolowa, et parfois Yaoundé… c'est aussi dur pour eux là-bas, puisqu'ils reviennent souvent nombreux ici pendant les élections, justement pour profiter ! Ils se souviennent quand même… raconta Ossang avec un petit sourire.

-          Mais tu ressens quoi par exemple quand tu vois Willy et sa famille débarquer dans le village… Tu les envies, tu es jaloux, tu les détestes ? Le confronta brutalement Gauthier.

-          Willy et sa famille ne m'ont rien fait, donc ce n'est pas un problème ! Par contre je pense qu'au village on a deux avis sur le fait qu'il y ait des « riches » et que nous soyons pauvres. On ressent beaucoup de fierté quand même parce qu'au moins sur la route de Djoum jusqu'à Sangmélima, on connait notre village puisque nous avons quelques familles « chez nous » qui ont réussi. Et quand elles reviennent de Douala ou d'Europe, pour passer les vacances ici, on est toujours content parce qu'on est sûr qu'il y aura la fête, et donc à manger et à boire… Mais c'est aussi bien parce que ce mouvement de foule, et d'ambiance contamine vite les villages voisins, et même nos « anciens » qui s'étaient déjà s'installés en ville. Donc c'est aussi l'occasion de faire de nouvelles rencontres, et des retrouvailles avec les cousins, et le reste… Mais en même temps, tout cet éclat de joie, de beau et de neuf suscite de la jalousie et de l'envie. Et ca crée beaucoup de problèmes dans tous les sens : Les hommes ne savent pas se suffire et abusent de tout et surtout d'alcool, pour ensuite se gâter dans les disputes ou conflits sans intérêts… ils battent leurs femmes ou leurs enfants, juste parce qu'ils ont honte d'eux-mêmes, et refusent de supporter leurs regards qui l'accuserait et le jugerait « d'incapables ». C'est la frustration qui fait ca ! De la même façon, les femmes aussi profitent souvent trop de toute cette effervescence pour « goûter la vie dehors ». Elles espèrent que le gars de la ville va changer leur vie… Alors qu'il y a déjà les enfants derrière ! Voilà, c'est un peu ca les avantages et les inconvénients… Mais ici c'est chez nous, donc on est là, et on vit seulement ! Conclut-il.

-          Ça, c'est la magic ! Tu es capable de réfléchir tout le gros baratin ci et tu as arrêté l'école ? S'étonna Moka.

-         Haha ! J'aime seulement observer les gens, et j'arrive à comprendre certaines choses ; l'école n'était pas pour moi… concède-t-il.

A cet instant, une voix d'enfant nous appelle au loin, dans l'obscurité. Les parents nous cherchent déjà ; il est presque minuit et on sait la journée qui nous attend demain, avec le mariage à la mairie et la réception en soirée… On abrège donc notre pot et on rentre tous calmes, chacun face à ses émotions. 

Ossang et Mvam s'en vont de leur côté. 

Chacun retourne à sa vie…



12/02/2010
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